Ce que cache la disparition d’un militant des droits de l’homme au Laos

Le Temps: (29 Octobre 2013)

Anne-Sophie Gindroz

Anne-Sophie Gindroz, ancienne directrice d’Helvetas au Laos, décrit le climat effrayant qui règne dans ce pays qui brade ses ressources aux compagnies étrangères et fait taire toute contestation.

En décembre 2012, Sombath Somphone suivait sa femme au volant de sa voiture pour rentrer chez eux à Vientiane, la capitale du Laos. Sur l’avenue de Thadeua, il fut tiré hors de son véhicule par des agents de police. Ni sa femme ni aucun de ses proches ne revit Sombath après cet épisode.

De nombreux gouvernements, des personnalités internationales, des parlementaires et organisations de la société civile ont cherché en vain à savoir où il se trouvait. Et la cause du droit à la terre des populations rurales au Laos, que Sombath s’efforçait de faire reconnaître, reste toujours largement ignorée

Des compagnies multinationales se ruent sur le Laos et d’autres pays dits «sous-développés» pour y acheter des terres ou les droits sur les ressources que leurs sous-sols recèlent auprès de gouvernements locaux, régionaux et nationaux. Dans de nombreux pays, les terres ont un immense potentiel pour des opérations minières, agricoles et forestières. Du bois d’arbres plusieurs fois centenaires est pratiquement bradé par des gouvernements de pays pauvres au nom du développement économique. Continue reading “Ce que cache la disparition d’un militant des droits de l’homme au Laos”

France: discrète visite du président du Laos, Choummaly Sayasone

Radio France Internationale: 23 Octobre 2013

Les présidents français, François Hollande et laotien, Choummaly Sayasone sur le perron de l’Elysée le 22 octobre 2013. AFP/Bertrand Guay

Le président du Laos Choummaly Sayasone est en visite officielle en France. Cette visite est historique. C’est la première fois qu’un chef d’Etat laotien se rend en France tout juste 60 ans après la reconnaissance de l’indépendance du Laos. Plusieurs ONG saisissent l’occasion pour dénoncer la situation des droits de l’homme dans ce pays et attirer l’attention sur Sombath Somphone, un activiste célèbre au Laos qui a disparu depuis bientôt un an.

Cette visite historique passe presque inaperçue. Pourtant Choummaly Sayasone séjournera cinq jours en France. Il a déjà rencontré le président Hollande ce mardi 22 octobre et ce mercredi il est reçu par le Medef, le patronnat français, mais la presse n’a été conviée à aucun de ces rendez-vous. Une manière probablement d’écarter toute question gênante et ne pas embarrasser l’hôte lors de cette visite destinée entre autres à développer la coopération et les échanges économiques et commerciaux.

La disparition de Sombath Somphone

S’il est un dossier qui dérange c’est bien celui de Sombath Somphone, célèbre activiste reconnu pour son combat en faveur des pauvres et contre la corruption, qui n’a pas donné de signe de vie depuis une nuit de décembre 2012. Les autorités nient toute implication dans cette affaire, pourtant des images issues de caméras de surveillance montrent l’activiste en train de monter dans un véhicule de police.

Depuis plus rien, aucune nouvelle. Mais les ONG, ses amis et sa famille ne baissent pas les bras. Un énième appel a été lancé pour enquêter sur la disparition de Sombath Somphone, dont le cas vient s’ajouter à une longue liste de violations de droits humains au Laos.

Laos : un militant fauché par le régime

Libération: 17 Septembre 2013

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A Vientiane, le 8 janvier. Les autorités laotiennes ont fait retirer depuis tous les avis de recherche. (Photo Gilles Sabrie pour Liberation.)

GRAND ANGLE: Fondateur d’une ONG de soutien aux paysans, le très respecté Sombath Somphone, 62 ans, a été enlevé il y a dix mois à Vientiane, dans des conditions troubles que les autorités laotiennes, vraisemblablement impliquées, ne cherchent pas à élucider, en dépit des pressions internationales.

Une silhouette familière au volant d’une Jeep, aperçue furtivement dans un rétroviseur. C’est la dernière image que Shui Meng Ng a de son mari, le Laotien Sombath Somphone. Ce 15 décembre 2012 en début de soirée, rue Thadeua, dans l’est de la capitale laotienne, Vientiane, Shui Meng Ng, elle-même citoyenne de Singapour, conduisait sa voiture, précédant le véhicule de son mari de quelques dizaines de mètres. Elle n’a rien vu de spécial. Ce n’est qu’une fois rentrée au domicile familial qu’elle s’est inquiétée de son absence. Depuis, personne n’a revu Sombath Somphone, un directeur d’ONG âgé de 62 ans, unanimement respecté en Asie du Sud-Est pour ses décennies de dévouement dans le domaine du développement rural. Huit mois plus tard, l’impression initiale selon laquelle les autorités laotiennes sont impliquées dans cette disparition est devenue écrasante.

Vidéo et pick-up blanc

«Le Laos est un pays trompeur, nous n’avons pas d’image de répression car la répression n’est pas visible», dit Anne-Sophie Gindroz, qui a travaillé pour l’ONG Helvétas pendant plusieurs années au Laos avant d’en être expulsée en décembre. De fait, cet ancien protectorat français, enclavé entre la Thaïlande, le Vietnam et la Chine, a toujours bénéficié d’une image plus favorable que la Birmanie voisine. Les touristes apprécient l’apparente quiétude de ce pays, souvent décrit dans les guides comme un «havre tropical», riche de ses pagodes bouddhiques, de ses éléphants et de superbes sites historiques, comme le temple de style angkorien Vat Phou. Une image soigneusement entretenue par le régime communiste. Mais les Laotiens et les étrangers qui vivent ici savent que la réalité est tout autre. Continue reading “Laos : un militant fauché par le régime”

Disparition d'un militant humanitaire : le gouvernement pointé du doigt

Courier International: 28 June 2013

L’enlèvement de Sombath Somphone, en décembre, a mis en lumière la dérive autoritaire du Laos. Les autorités semblent ne rien faire pour résoudre cette affaire, quitte à nuire à l’image du pays.
Des manifestants demandent la libération de Sombath Somphone, le 25 décembre 2012 – Photo de Prachatai / Flickr.

Six mois après la disparition à Vientiane [capitale du Laos] de Sombath Somphone, le fondateur d’une ONG créée pour aider les jeunes des milieux ruraux, le gouvernement du Laos est de plus en plus perçu comme le mouton noir par ses voisins de l’Association des nations du Sud-Est (Asean).

Alors que la Birmanie délaisse progressivement son passé dictatorial, le régime laotien s’enfonce peu à peu dans un autoritarisme obscurantiste.

Le dernier signe de cet anachronisme date de la fin mai, lorsque les autorités du Laos ont renvoyé en Corée du Nord neuf jeunes qui avaient fui leur patrie staliniste. “Pour moi, le régime laotien est une ploutocratie qui vend aux enchères les ressources naturelles nationales au bénéfice d’un petit groupe, en se targuant d’être communiste”, explique un observateur occidental à Vientiane. Continue reading “Disparition d'un militant humanitaire : le gouvernement pointé du doigt”

Le Laos doit garantir le retour d'un dirigeant de la société civile victime de disparition

Amnesty International: 13 June 2013

Le gouvernement du Laos doit prendre immédiatement des mesures pour garantir le retour sain et sauf de Sombath Somphone, un dirigeant de la société civile qui a très probablement été victime d’une disparition forcée et qui se trouverait entre les mains des autorités, écrit Amnesty International dans un nouveau rapport rendu public jeudi 13 juin 2013.

Le gouvernement du Laos doit prendre immédiatement des mesures pour garantir le retour sain et sauf de Sombath Somphone, un dirigeant de la société civile qui a très probablement été victime d’une disparition forcée et qui se trouverait entre les mains des autorités, écrit Amnesty International dans un nouveau rapport rendu public jeudi 13 juin 2013.

Ce document, intitulé Caught on Camera, étudie en détail le cas de Sombath Somphone, enlevé il y a six mois, le 15 décembre 2012 dans la soirée, en présence de membres des services de sécurité.

« D’après les preuves dont nous disposons, la conclusion la plus plausible est que Sombath Somphone a été victime d’une disparition forcée, imputable à des agents de l’État, a déclaré Rupert Abbott, chercheur d’Amnesty International sur le Cambodge, le Laos et le Viêt-Nam.

« Il appartient au gouvernement du Laos d’exiger publiquement qu’il soit libéré immédiatement et sans conditions et qu’il puisse rejoindre sa famille sain et sauf.

« Les autorités laotiennes doivent aussi mettre sur pied une nouvelle commission indépendante et la charger d’enquêter sur cette affaire, de veiller à ce que Sombath Somphone revienne sain et sauf auprès des siens et de faire juger, au cours de procès équitables, les personnes présumées responsables de sa disparition forcée. Continue reading “Le Laos doit garantir le retour d'un dirigeant de la société civile victime de disparition”

Sombath, le disparu de Vientiane

Le Monde: 08.03.2013

Par Bruno Philip (Lettre d’Asie)

Depuis bientôt trois mois, Sombath Somphone, 62 ans, personnalité éminente de la société civile du Laos, militant écologiste et de la cause du développement durable, figure mondialement reconnue par ses pairs comme incarnant la voix déterminée des paysans les plus pauvres de son pays, a disparu. Le 15 décembre 2012, il a pris sa voiture et s’est évaporé.

Les dernières images que l’on a peut-être de lui sont celles, floues, de caméras de surveillance filmant un homme qui pourrait être Sombath à un poste de police où il venait de s’arrêter pour montrer ses papiers lors d’un contrôle sur une grande avenue de Vientiane, la capitale du Laos.

Toujours selon les images des caméras, il serait descendu de sa Jeep avant que, quelques minutes plus tard, un homme en civil monte dans sa voiture et démarre. Une dizaine de minutes après, le film montre un autre personnage prenant le volant d’un camion blanc. Un passager – peut-être Sombath – se place alors sur le siège passager et le véhicule démarre.

Les amis du disparu de Vientiane redoutent qu’il s’agisse d’un enlèvement organisé sinon par le pouvoir, tout au moins par des gens proches du pouvoir. Ou par des “éléments incontrôlés” de “services”. A l’appui de cette thèse, les prises de position écologiques de Sombath, activiste pétri de convictions bouddhistes et prompt à critiquer les dérives capitalistes d’un régime “socialiste” : les leaders laotiens sont les héritiers du mouvement Pathet Lao anti-américain et anti-impérialiste qui avait fini par s’emparer du contrôle du pays à la fin de la guerre du Vietnam. Depuis 1975, le Parti populaire révolutionnaire lao (PPRL) s’est maintenu au pouvoir et a évolué “à la chinoise” en un système mêlant ouverture à l’économie de marché et strict contrôle politique.

Mais qui, cependant, aurait eu intérêt à décider de se débarrasser de cette personnalité dont la disparition ne peut que donner à la République démocratique et populaire du Laos une réputation douteuse ? Sombath a tout de même reçu en 2005 l’équivalent asiatique du prix Nobel, le Ramon Magsaysay Award qui récompensa son travail auprès des paysans et le succès de son Centre d’entraînement au développement participatif, une ONG aidant les fermiers au niveau local.

Qui aurait eu intérêt à se lancer dans une telle aventure quelques semaines après la tenue, en novembre, à Vientiane, du sommet Asie Europe (ASEM), pour lequel chefs d’Etat et de gouvernement de nombre de pays européens et asiatiques, François Hollande en tête, avaient fait le déplacement ?

L’événement avait placé pour quelques jours le Laos sous les projecteurs, et fait connaître au monde l’émergence socio-économique modeste mais sûre de ce petit pays enclavé et pauvre en train de secouer sa séculaire torpeur. Fin 2012, le Laos a même intégré l’Organisation mondiale du commerce.

Difficile de trouver des réponses satisfaisantes et précises à la question de savoir qui pourrait être précisément responsable… “Je n’ai aucune idée de ce qui a pu se passer”, nous a confié récemment au téléphone depuis Vientiane l’épouse de Sombath, Ng Shui Meng, une Singapourienne qu’il avait rencontrée dans les années 1970 à Hawaï, où il faisait des études de sciences de l’éducation et d’ingénieur agronome.

Les autorités nient toute implication dans cette disparition. Elles assurent que la police met tout en oeuvre pour retrouver Sombath. Récemment, le quotidien officiel anglophone The Vientiane Times a publié un communiqué émanant du directeur adjoint de la police, le colonel Phengsavanh Thipphavongxay, qui détaille les circonstances de la disparition de Sombath. S’appuyant sur les images des caméras de surveillance, le colonel indique que rien ne permet de “vérifier” si l’un des hommes filmés est bien le disparu. Il réitère aussi la thèse officielle selon laquelle Sombath aurait pu être la victime ou l’objet d’un règlement de comptes personnel.

Avant le sommet de l’ASEM, Sombath Somphone avait présenté un rapport critique du système de développement choisi par les autorités de son pays. Remarquant que le Laos avait expérimenté tour à tour, depuis près de quarante ans, un modèle de type soviétique, avant d’évoluer vers plus de libertés économiques de type capitaliste, il affirmait dans ce rapport : “Ces deux types de modèle ont connu certains succès mais ils ont aussi échoué à satisfaire les attentes d’une majorité de la population laotienne, surtout en termes d’amélioration du bien-être des gens et des conditions de vie des Laotiens des zones rurales, qui forment la majorité de la population.”

A ce propos, Shui Meng, son épouse, avoue rester perplexe : “Je ne peux répondre ni positivement ni négativement à la question de savoir si sa disparition est liée à ses prises de position. Mais j’ai quand même du mal à imaginer qu’elles puissent en être la raison. Ça serait complètement disproportionné ! En plus, il a souvent travaillé en bonne intelligence avec des gens du gouvernement. Certains d’entre eux m’ont même fait parvenir des témoignages de leurs sympathies…”

A Vientiane, on sait que les éléments les plus modernes et les plus ouverts du système semblent bien embarrassés par les mystères de l'”affaire Sombath”. Il reste à espérer que, quelles que soient les raisons de sa disparition et les responsables de son enlèvement présumé, une solution soit trouvée rapidement pour qu’il réintègre dès que possible la communauté des hommes libres.

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