Disparition d'un militant humanitaire : le gouvernement pointé du doigt

Courier International: 28 June 2013

L’enlèvement de Sombath Somphone, en décembre, a mis en lumière la dérive autoritaire du Laos. Les autorités semblent ne rien faire pour résoudre cette affaire, quitte à nuire à l’image du pays.
Des manifestants demandent la libération de Sombath Somphone, le 25 décembre 2012 – Photo de Prachatai / Flickr.

Six mois après la disparition à Vientiane [capitale du Laos] de Sombath Somphone, le fondateur d’une ONG créée pour aider les jeunes des milieux ruraux, le gouvernement du Laos est de plus en plus perçu comme le mouton noir par ses voisins de l’Association des nations du Sud-Est (Asean).

Alors que la Birmanie délaisse progressivement son passé dictatorial, le régime laotien s’enfonce peu à peu dans un autoritarisme obscurantiste.

Le dernier signe de cet anachronisme date de la fin mai, lorsque les autorités du Laos ont renvoyé en Corée du Nord neuf jeunes qui avaient fui leur patrie staliniste. “Pour moi, le régime laotien est une ploutocratie qui vend aux enchères les ressources naturelles nationales au bénéfice d’un petit groupe, en se targuant d’être communiste”, explique un observateur occidental à Vientiane.

La disparition de Sombath Somphone, le militant laotien le plus connu et le plus respecté, est la preuve tragique du côté sombre de ce pays. Le 15 décembre, il rentrait chez lui dans sa Jeep sur la route de Tha Deua, qui longe le Mékong à l’est de Vientiane. Il a été arrêté par un policier en uniforme puis conduit par des personnes en civil jusqu’à un pick-up, dans lequel il a été emmené. La scène a été filmée par une caméra de surveillance.

Si les autorités du Laos ont reconnu que l’enquête avait été ralentie par leur manque de moyens technologiques, elles ont refusé la proposition de l’ambassade américaine, qui souhaitait les aider à identifier les personnes et les véhicules apparaissant dans la vidéo. “Le gouvernement répète la même histoire depuis le début et évoque un ‘conflit d’affaires’”, affirme Ng Shui Maeng, l’épouse de Sombath Somphone, une ressortissante singapourienne.

La police laotienne, si efficace lorsqu’il s’agit de contrecarrer des manifestants qui défendent la démocratie (en 1999 notamment), ne s’est pas distinguée par sa performance dans le cadre de l’enquête sur la disparition du fondateur de l’ONG Participatory Development Training Centre (Padetc). Six mois plus tard, même sa Jeep n’a pas été retrouvée.

“Un pays trompeur”

“Le gouvernement laotien a recours a des méthodes radicales contre les dissidents qui se trouvent sur le territoire thaïlandais. Ils recrutent des tueurs à gage pour les assassiner”, déclare Adisorn Semyaem, un spécialiste du Laos qui travaille à l’Institut des études asiatiques de l’université Chulalongkorn. On peut citer l’assassinat, en 2006, d’Anouvong et Uraiwan Setthathirath, deux ressortissants américains d’origine laotienne qui affirmaient faire partie de la famille royale du Laos. En 1999, quatre personnes qui organisaient une manifestation de défense de la démocratie à Vientiane ont été arrêtées et condamnées à dix ans de prison, mais on ne les a plus jamais revues, bien qu’elles aient achevé leur peine. “Le Laos est un pays trompeur. Nous n’avons pas la réputation de réprimer l’opposition, car la répression reste toujours invisible. Des choses se passent mais personne ne le sait”, déplore le salarié d’une ONG.

La disparition de Sombath Somphone a d’autant plus surpris qu’il n’est pas un militant politique et qu’il a toujours travaillé en étroite coopération avec les autorités. Après avoir fait des études aux Etats-Unis, il est rentré dans son pays à la fin des années 1970 et a travaillé dans le domaine du développement agricole. En 1996, il a lancé l’ONG Padetc, dont l’objectif est de former des jeunes pour qu’ils puissent faire connaître leurs droits aux populations rurales. “Son but a toujours été de faire en sorte que le peuple comprenne ses droits, pas de s’opposer au gouvernement”, affirme Ng Shui Maeng.

Nombreux sont ceux qui lient sa disparition au rôle de premier plan qu’il a joué en tant que co-président du comité organisateur du Forum populaire Asie-Europe (AEPF), qui a eu lieu à Vientiane en octobre 2012 à l’approche de la Réunion Asie-Europe (ASEM). Sombath Somphone a organisé le forum avec d’autres, en accord avec le gouvernement et avec la pleine participation des divers mouvements et fronts à la botte du régime. En revanche, un certain nombre d’“incidents” au cours de l’événement auraient provoqué la colère de hauts responsables.

Sombath Somphone avait corédigé une déclaration qui résumait toutes les consultations menées avant le forum, selon laquelle la croissance économique ne suffisait pas à elle seule à résoudre tous les problèmes du Laos – une position susceptible de contredire l’objectif no 1 des dirigeants du pays : une croissance économique élevée. Les autorités laotiennes ont bloqué sa distribution dans le cadre du forum.